Moins de deux ans après Caïn naquit Abel, le premier enfant d’Adam et Ève né dans le second jardin. Quand Abel eut atteint l’âge de douze ans, il décida de devenir pâtre ; Caïn avait choisi la voie de l’agriculture.
Or, en ces temps-là, on avait l’habitude de faire offrande au clergé de ce dont on disposait. Les pâtres apportaient des animaux de leurs troupeaux ; les fermiers, des fruits des champs. Et, selon cette coutume, Caïn et Abel faisaient également des offrandes périodiques aux prêtres. Les deux garçons avaient maintes fois débattu des mérites respectifs de leurs métiers, et Abel ne fut pas long à noter que l’on marquait de la préférence pour ses sacrifices d’animaux. C’est en vain que Caïn fit appel à la tradition du premier Éden, à l’ancienne préférence pour les fruits des champs. Abel ne voulut pas l’admettre et se gaussa de son ainé déconfit.
Au temps du premier Éden, Adam avait vraiment cherché à décourager les offrandes d’animaux sacrifiés, de sorte que Caïn avait un précédent pour justifier ses prétentions. Il était toutefois difficile d’organiser la vie religieuse du second Éden. Adam était harassé par mille et un détails associés au travail de construction, de défense et d’agriculture. Étant spirituellement très déprimé, il confia l’organisation du culte et de l’éducation aux collaborateurs de souche nodite qui avaient déjà occupé ces fonctions dans le premier jardin ; même dans un délai aussi bref, les prêtres nodites officiants commencèrent à revenir aux normes et aux règles des temps préadamiques.
Les deux garçons ne s’entendirent jamais bien, et cette affaire de sacrifices contribua encore à aviver la haine entre eux. Abel savait qu’il était le fils d’Adam et d’Ève et ne manquait jamais de faire ressortir à Caïn qu’Adam n’était pas son père. Caïn n’était pas de pure race violette, puisque son père appartenait à la race nodite croisée ultérieurement avec les hommes bleus et rouges et avec la souche andonique aborigène. Tout cela, ainsi que son hérédité naturelle belliqueuse, amena Caïn à nourrir une haine de plus en plus grande pour son jeune frère.
Les jeunes gens avaient respectivement dix-huit et vingt ans lorsque la querelle entre eux fut définitivement réglée. Un jour, les sarcasmes d’Abel mirent son frère combattif dans une telle fureur que Caïn, dans sa colère, se précipita sur lui et le tua.
L’observation de la conduite d’Abel établit la valeur du milieu et de l’éducation comme facteurs de développement du caractère. Abel avait un héritage idéal, et l’hérédité git au fond de tout caractère, mais l’influence d’une ambiance inférieure neutralisa pratiquement cet héritage magnifique. Abel fut grandement influencé, surtout dans ses premières années, par son milieu défavorable. Il serait devenu une personne entièrement différente s’il avait vécu jusqu’à vingt-cinq ou trente ans ; sa superbe hérédité se serait alors fait jour. Tandis qu’un bon milieu ne peut guère contribuer à triompher réellement des handicaps de caractère résultant d’une hérédité vile, un mauvais milieu peut très efficacement gâter une excellente hérédité, au moins durant les premières années de la vie. Un bon milieu social et une éducation convenable forment le terrain et l’atmosphère indispensables pour tirer le meilleur parti d’une bonne hérédité.
Les parents d’Abel connurent sa mort lorsque ses chiens ramenèrent ses troupeaux à la maison sans leur maitre. Caïn devenait rapidement pour Adam et Ève le sinistre souvenir de leur folie, et ils l’encouragèrent dans sa décision de quitter le jardin.
La vie de Caïn en Mésopotamie n’avait pas été franchement heureuse, parce qu’il symbolisait la faute d’une manière trop frappante. Ceux qui l’entouraient n’étaient pas méchants avec lui, mais il ne lui avait pas échappé que, dans leur subconscient, ils éprouvaient du ressentiment contre lui. Caïn ne portait pas de marque tribale et savait qu’en conséquence il serait tué par les premiers hommes des tribus voisines qui le rencontreraient. La peur et un certain remords l’amenèrent à se repentir. Caïn n’avait jamais été habité par un Ajusteur, il avait toujours bravé la discipline familiale et dédaigné la religion de son père. Il alla maintenant trouver Ève, sa mère, pour lui demander de l’aide et des directives spirituelles, et, dès qu’il rechercha sincèrement l’assistance divine, un Ajusteur vint l’habiter. Cet Ajusteur, habitant à l’intérieur et regardant à l’extérieur, donna à Caïn un net avantage de supériorité qui le classa avec la tribu d’Adam, laquelle était grandement crainte.
Caïn partit donc pour le pays de Nod, à l’est du second jardin. Il devint un grand chef parmi l’un des groupes du peuple de son père et accomplit, dans une certaine mesure, les prédictions de Sérapatatia, car il établit la paix durant toute sa vie entre cette division de Nodites et les Adamites. Caïn épousa Remona, sa cousine éloignée, et leur premier fils, Énoch, devint chef des Nodites élamites. Pendant des siècles, les Élamites et les Adamites continuèrent à vivre en paix.