La nuit qui précéda leur départ d’Alexandrie, Ganid et Jésus eurent un long entretien avec un des professeurs appointés par le gouvernement à l’université, qui faisait un cours sur les enseignements de Platon. Jésus servit d’interprète au savant pédagogue grec, mais n’y inséra aucun enseignement de son crû réfutant la philosophie grecque. Ce soir-là, Gonod était parti à ses affaires ; alors, après le départ du professeur, le maitre et son élève eurent une longue conversation cœur à cœur sur les doctrines de Platon. Jésus donna une approbation modérée à certains enseignements grecs ayant trait à la théorie que les choses matérielles du monde étaient de vagues reflets de réalités spirituelles invisibles, mais plus substantielles ; toutefois, il chercha à établir des bases plus dignes de confiance pour les réflexions du jeune homme. Jésus commença donc une longue dissertation concernant la nature de la réalité dans l’univers. Voici, en substance et en langage moderne, ce que Jésus dit à Ganid :
La source de la réalité de l’univers est l’Infini. Les choses matérielles de la création finie sont les répercussions dans l’espace-temps de l’Archétype Paradisiaque et du Mental Universel du Dieu éternel. Quand la causalité dans le domaine physique, la conscience de soi dans le domaine intellectuel et l’individualité en progrès dans le domaine de l’esprit sont projetées à l’échelle universelle, conjuguées en relations éternelles et expérimentées avec des qualités parfaites et des valeurs divines, elles constituent la réalité du Suprême. Mais, dans l’univers toujours changeant, la Personnalité Originelle de la causalité, de l’intelligence et de l’expérience spirituelle, reste immuable, absolue. Même dans un univers éternel de valeurs illimitées et de qualités divines, toutes choses peuvent changer et changent en effet fréquemment, sauf les Absolus et les éléments qui ont atteint le niveau absolu de statut physique, ou d’embrassement intellectuel ou d’identité spirituelle.
Le plus haut niveau que des créatures finies puissent atteindre est la récognition du Père Universel et la connaissance du Suprême. Même alors, ces êtres destinés à la finalité continuent à expérimenter des changements dans les mouvements du monde physique et dans ses phénomènes matériels. Ils restent également conscients de la progression de leur individualité dans leur ascension continue de l’univers spirituel et de leur conscience croissante dans leur profonde appréciation et leur réaction au cosmos intellectuel. C’est seulement dans la perfection, l’harmonie et l’unanimité de la volonté que les créatures peuvent s’unifier avec le Créateur ; et cet état de divinité n’est atteint et maintenu que si la créature continue à vivre dans le temps et l’éternité en conformant avec persistance son vouloir personnel fini à la volonté divine du Créateur. Le désir de faire la volonté du Père doit toujours être suprême dans l’âme et dominer le mental d’un fils ascendant de Dieu.
Un borgne ne peut jamais espérer percevoir le relief d’une perspective. De même, ces borgnes, qu’ils soient scientifiques matérialistes ou mystiques et allégoristes spirituels, ne peuvent-ils avoir une vision correcte ni comprendre de façon adéquate les profondeurs véritables de la réalité universelle. Toutes les vraies valeurs de l’expérience des créatures sont cachées dans la profondeur de la récognition.
Une cause dépourvue de mental ne peut transmuer ce qui est rudimentaire et simple en éléments raffinés et complexes, l’expérience sans l’esprit ne peut davantage faire naitre, du mental matériel des mortels du temps, les caractères divins de survie éternelle. L’unique attribut universel qui caractérise si exclusivement la Déité infinie est le perpétuel don créatif de la personnalité capable de survivre dans l’aboutissement progressif à la Déité.
La personnalité est cette dotation cosmique, cette phase de réalité universelle, qui peut coexister en présence des changements illimités et, en même temps, conserver son identité en présence même de tous ces changements, et indéfiniment par après.
La vie est une adaptation de la causalité cosmique originelle aux exigences et aux possibilités des situations de l’univers ; elle vient à l’existence par l’action du Mental Universel et la stimulation de l’étincelle d’esprit de ce Dieu qui est esprit. La signification de la vie est son adaptabilité ; la valeur de la vie est son aptitude au progrès – même jusqu’aux hauteurs de la conscience de Dieu.
Le défaut d’adaptation de la vie consciente à l’univers se traduit par la disharmonie cosmique. Si la volonté de personnalité diverge définitivement de la tendance des univers, cela se termine par l’isolement intellectuel, la ségrégation de la personnalité. La perte du pilote spirituel intérieur survient avec la cessation spirituelle de l’existence. En et par elle-même, la vie intelligente et progressive devient alors une preuve irréfutable de l’existence d’un univers intentionnel exprimant la volonté d’un Créateur divin ; et cette vie, dans son ensemble, lutte pour des valeurs supérieures en ayant pour but final le Père Universel.
À part les services supérieurs et quasi spirituels de l’intellect, le mental de l’homme ne dépasse le niveau animal que par son degré. C’est pourquoi les animaux (ne connaissant ni adoration ni sagesse) ne peuvent éprouver la superconscience, la conscience de la conscience. Le mental animal n’est conscient que de l’univers objectif.
La connaissance est la sphère du mental matériel, celui qui discerne les faits. La vérité est le domaine de l’intellect spirituellement doté qui est conscient de connaitre Dieu. La connaissance est démontrable ; la vérité est expérimentée. La connaissance est un acquis du mental ; la vérité est une expérience de l’âme, du moi qui progresse. La connaissance est une fonction du niveau non spirituel ; la vérité est une phase du niveau mental-spirituel des univers. La vue du mental matériel perçoit un monde de faits connaissables ; la vue de l’intellect spiritualisé discerne un monde de vraies valeurs. Synchronisés et harmonisés, ces deux points de vue révèlent le monde de la réalité, dans lequel la sagesse interprète les phénomènes de l’univers en termes d’expérience personnelle progressive.
L’erreur (le mal) est la sanction de l’imperfection. Les attributs de l’imperfection ou les faits dénotant une mauvaise adaptation se révèlent sur le niveau matériel par l’observation critique et l’analyse scientifique ; ils se révèlent sur le niveau moral par l’expérience humaine. La présence du mal constitue la preuve des inexactitudes du mental et de l’immaturité du moi en évolution. Le mal est donc également une mesure de la manière imparfaite dont on interprète l’univers. La possibilité de commettre des erreurs est inhérente à l’acquisition de la sagesse, c’est l’ordre prévu selon lequel on progresse du partiel et temporel vers le parachevé et éternel, du relatif et imparfait vers le définitif et le rendu parfait. L’erreur est l’ombre de l’inachèvement relatif qui doit nécessairement se projeter en travers de la route universelle ascendante des hommes vers la perfection du Paradis. L’erreur (le mal) n’est pas une qualité actuelle de l’univers ; c’est simplement l’observation d’une relativité dans les rapports du fini incomplet avec les niveaux ascendants du Suprême et de l’Ultime.
Bien que Jésus eût exposé tout cela au jeune homme dans le langage le plus approprié à sa compréhension, Ganid avait les paupières lourdes à la fin de la discussion et sombra bientôt dans le sommeil. Le lendemain matin, ils se levèrent de bonne heure pour monter à bord du bateau partant pour Lasaïa, dans l’ile de Crète, mais, avant de s’embarquer, le garçon avait encore à poser, sur le mal, de nouvelles questions auxquelles Jésus répondit :
Le mal est un concept de relativité. Il nait de l’observation des imperfections qui apparaissent dans l’ombre projetée par un univers fini de choses et d’êtres quand ce cosmos obscurcit la lumière vivante de l’expression universelle des réalités éternelles de l’Un Infini.
Le mal potentiel est inhérent au caractère nécessairement incomplet de la révélation de Dieu en tant qu’expression, limitée par l’espace-temps, de l’infinité et de l’éternité. Le fait du partiel en présence du total parachevé constitue la relativité de la réalité. Il crée la nécessité de choisir intellectuellement et établit une hiérarchie de niveaux de valeurs dans nos capacités de reconnaitre l’esprit et d’y répondre. Le concept fini et incomplet de l’Infini conçu par le mental temporel et limité des créatures constitue, en lui-même et par lui-même, le mal potentiel. Mais l’erreur aggravante, consistant à s’abstenir, sans justification, d’une rectification spirituelle accessible à la raison de ces discordances intellectuelles originelles et de ces insuffisances spirituelles, équivaut à commettre le mal actuel.
Tous les concepts statiques et morts sont potentiellement mauvais. L’ombre finie de la vérité relative et vivante se déplace continuellement. Les concepts statiques retardent invariablement la science, la politique, la société et la religion. Ils peuvent représenter une certaine connaissance, mais ils sont déficients en sagesse et dépourvus de vérité. Ne permettez pas au concept de relativité de vous égarer au point de vous empêcher de reconnaitre la coordination de l’univers sous la gouverne du mental cosmique, et son contrôle stabilisé par l’énergie et l’esprit du Suprême.