Cette année-là, les embarras financiers de la famille furent un peu moindres, du fait que les ainés étaient quatre à travailler. Miriam faisait de bons profits sur la vente du lait et du beurre ; Marthe était devenue une habile tisseuse. Plus du tiers du prix d’achat de l’atelier de réparations avait été payé. La situation était telle que Jésus s’arrêta de travailler pendant trois semaines afin d’emmener Simon à Jérusalem pour la Pâque. Jamais encore, depuis la mort de son père, il n’avait pu quitter aussi longtemps son labeur quotidien.
Ils se rendirent à Jérusalem par la Décapole et traversèrent Pella, Gérasa, Philadelphie, Hesbon et Jéricho. Ils revinrent à Nazareth par la route côtière ; ils passèrent par Lydda, Joppé, Césarée, contournèrent le mont Carmel et allèrent de là à Nazareth par Ptolémaïs. Ce voyage permit à Jésus de connaitre assez bien la Palestine au nord du district de Jérusalem.
À Philadelphie, Jésus et Simon firent la connaissance d’un marchand de Damas qui se prit d’une telle amitié pour les deux frères de Nazareth qu’il les pressa de s’arrêter chez lui au siège de son entreprise à Jérusalem. Pendant que Simon participait au service au temple, Jésus passa beaucoup de temps à causer avec cet homme d’affaires internationales bien éduqué et grand voyageur. Le marchand possédait plus de quatre-mille chameaux de caravanes ; il avait des intérêts dans tout le monde romain, et maintenant il était en route pour Rome. Il proposa à Jésus de venir à Damas pour entrer dans son affaire d’importations d’Orient, mais Jésus expliqua qu’il ne se sentait pas en droit de s’éloigner autant de sa famille pour le moment. Mais sur le chemin du retour, il pensa beaucoup à ces villes éloignées et aux pays encore plus lointains d’Extrême-Occident et d’Extrême-Orient, pays dont il avait si souvent entendu parler par les voyageurs et conducteurs de caravanes.
Simon fut très heureux de sa visite à Jérusalem. Il fut dument admis à la communauté d’Israël lors de la consécration pascale des nouveaux fils du commandement. Tandis que Simon assistait aux cérémonies de la Pâque, Jésus se mêla à la foule des visiteurs et engagea beaucoup d’entretiens personnels et intéressants avec de nombreux Gentils prosélytes.
Le plus remarquable de ces contacts fut peut-être avec un jeune Grec nommé Étienne. Ce jeune homme venait, pour la première fois, à Jérusalem et rencontra par hasard Jésus le jeudi après-midi de la semaine de la Pâque. Tandis que tous deux se promenaient en visitant le palais d’Asmonée, Jésus entama fortuitement une conversation qui eut pour effet de les attirer l’un vers l’autre et aboutit à quatre heures de discussions sur la manière de vivre et sur le vrai Dieu et son culte. Étienne fut prodigieusement intéressé par ce que Jésus lui dit et n’oublia jamais ses paroles.
Ce fut ce même Étienne qui devint par la suite un croyant aux enseignements de Jésus et dont la témérité, en prêchant cet évangile des premiers temps, eut pour résultat de le faire lapider à mort par des Juifs courroucés. Une partie de l’extraordinaire audace d’Étienne en proclamant son opinion sur le nouvel évangile provenait directement de ce premier entretien avec Jésus. Mais Étienne n’eut jamais le moindre soupçon que le Galiléen auquel il avait parlé, une quinzaine d’années auparavant, était précisément le même homme que, plus tard, il proclama Sauveur du monde et pour lequel il devait si tôt mourir, devenant ainsi le premier martyr de la nouvelle foi chrétienne naissante. Quand Étienne donna sa vie comme prix de son attaque contre le temple juif et contre ses pratiques traditionnelles, un nommé Saül, citoyen de Tarse, se trouvait là. Quand Saül vit comment le Grec pouvait mourir pour sa foi, cela suscita dans son cœur des sentiments qui l’amenèrent finalement à épouser la cause pour laquelle Étienne était mort. Plus tard, Saül devint le dynamique et indomptable Paul, le philosophe, sinon le seul fondateur, de la religion chrétienne.
Le dimanche après la semaine de la Pâque, Simon et Jésus repartirent pour Nazareth. Simon n’oublia jamais ce que Jésus lui apprit au cours de ce voyage. Il avait toujours aimé Jésus, mais maintenant il sentait qu’il commençait à connaitre son frère-père. Ils eurent beaucoup de conversations à cœur ouvert pendant qu’ils traversaient le pays et préparaient leurs repas au bord de la route. Ils arrivèrent à la maison le jeudi à midi, et Simon tint sa famille éveillée tard ce soir-là en racontant ses expériences.
Marie fut bouleversée quand Simon lui rapporta que Jésus avait passé la majeure partie de son temps à Jérusalem « à converser avec les étrangers, spécialement avec ceux des pays lointains ». La famille de Jésus ne put jamais comprendre le grand intérêt qu’il portait aux gens, son besoin de s’entretenir avec eux, de connaitre leur mode de vie et de découvrir ce qu’ils pensaient.
La famille de Nazareth était de plus en plus absorbée par ses problèmes immédiats et humains. On ne faisait pas fréquemment allusion à la future mission de Jésus, et lui-même parlait très rarement de son avenir. Sa mère ne se remémorait pas souvent qu’il était un enfant de la promesse. Elle abandonnait lentement l’idée que Jésus devait remplir sur terre une mission divine. Mais sa foi était ravivée par moments quand elle se rappelait la visitation de Gabriel avant la naissance de l’enfant.